Ayant été privés par un procédé purement arbitraire de faire insérer nos observations dans le cahier de doléances du tiers état de la ville de Parthenay nous prenons la liberté de vous faire passer les observations que nous croyons nécessaires pour notre pauvre patrie. L'amour du bien public seul nous les a dicté, nous vous supplions de les honorer de vôtre attention et de les appuyer auprès du Roi remplis de confiance dans un ministre qui nous rappelle les vertus du grand Sully, nous espérons que notre zèle ne sera pas sans fruit.

Nous sommes avec un profond respect

Monseigneur
Vos très humbles et très obéissans serviteurs
Parthenay en Poitou le 17 mars 1789

Au Roi et à nos Seigneurs de son conseil

Sire

Dans une occasion solennelle, où votre Majesté donne à ses sujets les marques d'un amour vraiment paternel, vôtre intention est que chacun d'eux soit entendu dans la cause commune; mais ce vœux si sage et si juste serait illusion s'il ne leur était permis de faire des représentations particulières : car, Sire, il ne faut pas croire que le résultat d'une assemblée municipalle soit toujours le vœu des anciens, des citoyens sages et réfléchis, il n'est souvent dans les petites villes que le sistème arbitraire de deux ou trois hommes qui sous les titres de maire et d'échevins profitent des rapports d'intérêt qu'ils ont avec le plus grand nombre pour faire adopter leurs idées tandis que les honnêtes citoyens dont on connaît les lumières ne soit pas même consultés.

Ces vérités viennent d'être vérifiées dans la ville de Partenay où les charges de la municipalité sont en titre d'office depuis 1771 et exercés par intérim par un maire et deux échevins. Ces officiers non contents de contrevenir entièrement à la lettre du règlement communal.

La forme des assemblées du tiers état et l'élection des députés se sont encore écarté de son esprit en ne prenant conseil que d'eux-mêmes pour la rédaction du cahier de doléances et en rejetant arbitrairement les justes observations des principaux citoyens.

Nous avons cru, Sire, qu'il était de notre devoir de protester contre l'illégalité d'un procédé qui blesse évidament les droits des citoyens ; mais nous n'avons eu que le temps d'en instruire le majistrat qui a présidé l'assemblée préliminaire du tiers état à Poitiers et conformément à l'article 51 de ce même règlement nous nous sommes réservé le droit de vous adresser directement nos justes plaintes.

Invités par votre Majesté même à lui faire connaître nos besoins et à indiquer les moyens de réformer les abus, cet esprit sera notre rèsgle.

Or, Sire, s'il existait une ville du troisième où l'on compte environ trois mille habitants, privée de tout commerce, n'ayant aucun débouché pour ses denrées, placée néanmoins dans un terrain assez fertile, mais inculte faute de bras, indigente au milieu de ses ressources locales, et cependant accablée par les impôts et plus encore par la voracité financière, si, disons nous, cette ville gémissait sous le régime obscur d'une municipalité, dont on connaît le revenu et non l'emploi, Vôtre Majesté s'empresserait sans doute de venir à son secours.

Eh bien, Sire, ce tableau est celui de la ville de Partenay et notre point de vue est de lui procurer un sort plus favorable, sans même intéresse l'état.

Les débouchés du commerce s'ouvriraient facillement si au lieu d'exiger annuellement de la ville et des campagnes qui l'environnent des sommes considérables pour des corvées qui ne se font point, on permettrait aux habitants d'employer eux mêmes ces sommes à faire réparer les grandes routes et les chemins de communications de Partenay aux bourgs les plus prochains, chemins essentiels mais impraticables pour les chevaux et gens de pieds pendant neuf mois de l'année et toujours pour les voitures.

Ces chemins de communications sont de la plus grande importance : ils feraient non seulement l'avantage de la ville, mais plus particulièrement encore de tous les héritages de toute la campagne. On verrait disparaître cet abus frappant qui consiste à faire contribuer un grand nombre de paroisses pour les corvées étrangères, tandis qu'elles sont emprisonnées par des chemins impraticables. Il serait plus utile et plus juste sans doute de les obliger à des corvées localles et s'il en était usé ainsi dans châque canton, les chemins de la France se rétabliraient aisément et le commerce y trouverait un avantage certain.

Mais quelqu'ouverture que l'on donne au commerce, il est impossible qu'il n'y ait pas à Partenay une grande quantité de pauvres, or nous n'avons pour les soulager qu'un petit hôtel-dieu, où on ne peut en recevoir que trente eu égard au revenu. Louis XIV a permis d'y établir un hôpital général, mais il n'a pas encore été possible d'obtenir un sol de revenu pour le doter ; cependant, Sire, il y a aux portes de la ville une maison de l'ordre de Grandmont, dont tous les biens viennent des seigneurs de Partenay et qui seraient suffisants, sinon pour dotter un hôpital général, au moins pour établir un attelier de charité, qui aurait le double avantage de bannir une mendicité dangereuse et d'exercer utillement les pauvres forcés de l'être. Nous n'avons cessé de réclamer ces revenus depuis douze années, mais nous n'avons rien obtenu de la charité de Mgr l'Evêque de Poitiers qui s'en est emparé par provision sous le prétexte de dotter les séminaires, tandis qu'il est prouvé qu'ils sont dotés au dela de leur besoin et des intentions de Votre Majesté.

Un autre point non moins intéressant ; c'est qu'il n'y a à Partenay ni collège ni école pour l'instruction de la jeunesse. Ces motifs n'ont pas plus touchés M. l'Evêque de Poitiers que la nécessité de soulager les pauvres dans une ville mérite une attention particulière par son ancienneté, sa position et son éloignement des villes où il y a des hôpitaux et des collèges. Celle de Saint Maixent distante de huit lieux de poste en est la plus prochaine.

Les seules ressources de cette ville ne consistent que dans quelques branches de commerce sans vigueur, mais les différentes impositions qu'on perçoit en absorbent presque tout le fruit. La régie des droits surtout est devenue espèce de fléau à Partenay et aux environs. Ô, Sire, comment décrire les vexations qu'on exerce au nom d'un Roi bienfaisant dans cette partie d'administration financière ? Mais plutôt comment concevoir que des droits fixés par des règlements généraux pour la province soient plus forts à Partenay que dans les autres villes ? Ne croyez pas, Sire, qu'un citoyen soit tranquille après avoir acquitté ce qu'on appelle droits d'aides, il s'expose à des procèss ruineux, si des commis le trouve dans sa maison buvant de son vin avec ses amis. Sur toute autre matière la fraude ne se présume jamais. Mais aux yeux de la régie, il suffit d'être soupçonné pour être convaincu. C'est à la faveur de cette cruelle jurisprudence qu'on opprime cette classe de vos sujets qui, n'ayant d'autre ressource que leur travail, préfèrent une capitulation onéreuse au vain parti de proposer une déffense juste mais qui n'aurait d'autre succès que de les réduire à la mendicité.

Nous espérons, Sire, que cette sorte de calamité disparaîtra par le nouveau plan d'administration financière que votre Majesté se propose. Mais il est des réforme particulières que nous devons solliciter de votre justice, nous supplions par exemple avec instance, votre Majesté de supprimer les charges municipales établies par l'édit de 1771 et de rendre ces charges éligibles comme elles l'étaient avant cette époque, des motifs pressants déterminent notre réclamation, autrefois, Sire, la vertu et les tallents conduisaient à l'administration d'une ville. Elle était réglée par l'avis des notables que les citoyens choisissaient parmi eux pour veiller aux intérêts communs, chacun d'eux pouvait proposer des plans utiles et l'employ et l'emploi des revenus était connu … Ces élections changeaient après un certain temps d'exercice et il en résultait le double avantage de pouvoir faire de meilleurs choix et d'honorer chaque honnête citoyen à son tour ; mais aujourd'hui qu'elle différence ? Au maire et deux échevins composent un corps municipal, une poignée d'argent ou une commission accordée sans connaissance de cause leur assure des titres que la pluralité des voix leur refuserait, une régie arbitraire et obscure éloigne toute confiance et fait naître de justes soupçons ; les objets d'une véritable utilité comme les puys, les fontaines, les casernes et leur ameublement sont entièrement négligés au grand détriment du public. Enfin ce zèle, cet amour patriotique qu'inspirait la cause commune, n'existent plus, ou s'il en reste encore quelque sentiment, il ne sert qu'à faire soupirer les âmes honnêtes pour la réformation d'une régie aussi vicieuse.

D'autres considérations sollicitent cette réforme. Vous avez, Sire, par votre édit du mois de juin 1787 établi des administrations dans les provinces qui ne sont point payés d'état et le Poitou s'étant ressenti de ce bienfait pour un règlement particulier à cette province au douze juillet suivant ; cette administration a été formée d'une assemblée principalle, de neuf assemblées de départements subordonnées à la première, et enfin d'assemblées municipales dans les villes et paroisses de la généralités subordonnées aux assemblées de départements chacune dans leur district.

Les membres de cette diverses assemblées choisis dans les différents ordres de l'Etat doivent changer après un certain temps d'exercice et elles doivent se régénérer les unes par les autres, de sorte que par cette marche chaque citoyen a l'expectative de participer à l'administration généralle, et telle est l'intention de vôtre Majesté. Mais, comme dans les villes l'assemblée municipales est représentée par des officiers en titre d'office ou qui exercent par intérim, comme à Partenay, il y a lieu de croire qu'on continuera de prendre de préférence parmi eux les membres nécessaires à la régénération des assemblées de départements ; ce qui en excluerait tout les autres citoyens, exclusion qui serait injuste et contraire aux vues bienfaisantes de vôtre Majesté.

Qu'il nous soit encore permis, Sire, de vous représenter qu'il semble contraire à l'ordre des choses, que les ecclésiastiques soient admis dans ces assemblées et même présidées par eux. Le clergé mérite, sans doute, nos hommages et nos respects, mais son ministère est absolument étranger aux objets de ces assemblées, et il ne pourrait y être intéressé qu'autant qu'il participerait en proportion de ses richesses immenses, à la dette commune.

Cette vérité s'applique aussi, mais avec moins de force, à la noblesse, parce qu'elle n'est pas exempte de toutes sortes d'impôts ; mais, Sire, pourquoi ces deux ordres qui occupent les premières et les plus lucratives places de l'Etat, qui possèdent les deux tiers au moins des meilleurs propriétés du royaume, resteraient-ils exempts des principales charges publiques ? Les privilèges de la noblesse ont eu un principe de justice dans les temps où elle sacrifiait sa fortune pour la défense de la patrie, mais aujourd'hui qu'elle est soldée, la cause n'existant plus, l'effet doit cesser aussi.

Pour le clergé, il est impossible de concilier son opulence excessive avec la pauvreté dont il fait vœu, non plus que ses privilèges plus étendus que ceux de la noblesse, avec le droit de protection que lui accorde le gouvernement. Les Ministres de l'Evangile sont et doivent être dans l'état des premiers citoyens, mais il est contradictoire qu'ils ne coopèrent pas aux besoins de la patrie en raison des secours qu'ils reçoivent de cette mère commune.

C'est le tiers état, sire, sur qui pèse presque tout le poids des charges publiques. Cette classe de citoyens est cependant la plus utile : en temps de guerre elle compose les armées et soutient le choc des combats ; en temps de paix, l'agriculture, le commerce et les arts ne prospèrent que par ses soins ; quel dédommagement reçoit-elle pour tant de sacrifices ? aucun. On laisse à peine au laboureur une grossière subsistance. Les pertes qu'il éprouve ne sont comptées pour rien : on l'exécute dans ses meubles, on l'emprisonne sans égard pour sa misère : d'un autre côté il n'y a pas une seule branche du commerce qui ne soit surchargée d'impôts et le mode de la perception est plus accablant que l'impôt même, des légions d'employés et de commis possèdent l'art cruel de multiplier les fraudes ; ils exercent impunément les plus odieuses vexations ; les noms de ferme et de régie sont des noms affreux pour le peuple, parce qu'ils ne rappellent à l'esprit que la misère et le malheur.

Mais, Sire, il existe des moyens de soulager cet ordre essentiel et fidèle de vos sujets ; et il semble que la réduction de tous les impôts en un seul et une répartition proportionnelle sur toutes les propriétés des trois ordres, opéreraient cette justice. L'état pourrait d'ailleurs trouver des sommes immenses dans ce qu'on peut nommer à juste titre le superflu du haut clergé, et par une sage aplication on pourrait procurer aux pasteur du second ordre véritablement utiles, une subsistance honnête. Les curés ne seraient plus obligés d'arracher des mains du laboureur le bléd que ses travaux ont fait croître et que sa famille attend pour vivre ; d'un autre côté, les vicaires seraient dispensés de tendre une main mendiante dans les campagnes et d'oublier leur caractère, c'est à dire de faire violence aux sentiments d'une pitié naturelle pour solliciter, auprès de l'indigence même, une subsistance qui leur est nécessaire et qu'ils rougissent d'obtenir.

Au nombre des réformes qui intéressent essentiellement l'état, on doit principalement compter la nécessité de simplifier l'administration de la justice et de rapprocher les justiciables de leurs juges, mais, Sire, ces deux points remplis ne suffiraient pas, il faudrait encore prendre de justes mesures pour que les tribunaux ne fussent composés que par des hommes intègres et éclairés. La vénalité des charges est ce qu'on pouvait imaginer de plus alarmant pour le peuple : une jeunesse opulente mais ignorante et inapliquée peut par ce moyen s'emparer du droit de disposer de l'honneur, de la vie et de la fortune des hommes, et passer sans réflexion des écoles de la licence au temple où les bons magistrats n'entrent qu'avec respect et en tremblant tandis que les citoyens qui pensent regardent comme un malheur d'avoir de pareils juges.

Que le droit de distribuer la justice ne soit accordé qu'aux hommes sages et éclairés qui auront fait une étude profonde de la jurisprudence et des lois ; que la magistrature ne soit dorénavant que la récompense de la vertu : alors les tribunaux auront aux yeux des citoyens la majesté qu'ils doive"nt avoir. Une confiance honorable et consolante succédera dans les cœurs à une inquiétude cruelle et le respect qui en sera nécessairement le fruit influera autant qur le bon ordre que la sévérité même des Lois.

Tels sont, Sire, les vœux de vos très humbles, très soumis, très respectueux et très fidèles sujets habitans de la ville de Partenay en Poitou.