de Doué la Fontaine le 30 nivose an II (19 janvier 1794)
Le Général en Chef TURREAU au Comité de Salut Public

Doué la Fontaine le 30 nivose an 2

TURREAU Général en Chef de l'Armée de l'Ouest
Aux citoyens composant le Comité de Salut Public

Vous êtes sans doute étonnés que l'Armée de l'Ouest soit encore en pleine activité contre les rebelles de la Vendée dont on vous a annoncé tant de fois l'entier anéantissement. Ils n'existeraient plus effectivement si l'exécution du plan que j'avais conçu n'eut été entravée et retardée par des ordres contraires. En voici l'analyse : vous jugerez vous-mêmes citoyens représentants que j'ai été dans l'impossibilité d'exécuter plutôt le plan que j'exécute aujourd'hui.

Les différents rapports qui m'ont été faits après la victoire du Mans de la force des rebelles placés sur la rive droite de la Loire m'avaient convaincu que la division détachée de l'Armée du Nord était inutile de ce côte-là et que je devais l'employer dans le sein de la Vendée où des rassemblements alors considérables sous les ordres de La Rochejaquelein, Stofflet, Charette etc. enfin le fameux d'Elbée, qui depuis est tombé en notre pouvoir pouvaient recommencer une guerre sérieuse, balancer nos succès et compromettre peut-être encore longtemps la tranquillité de cette partie de la République. Je donnai ordre en conséquence à la division du Nord alors à Alençon de se porter à Angers lorsqu'un ordre contraire et postérieur au mien du général divisionnaire Marceau lui fit prendre la route de Rennes. Je la ramène à Nantes et la quitte momentanément pour l'expédition de Noirmoutier. A mon retour je la trouve morcelée par l'ordre du représentant Carrier qui avait détaché environ trois mille hommes que je n'ai pu encore réunir. Cependant j'entre dans la Vendée et j'y commence l'opération que j'avais projetée même avant d'être général en chef.

Douze colonnes parties de différents points et embrassant seize lieues de pays marchant toujours à la même hauteur et ayant toutes les facilités pour se secourir mutuellement entrent dans la Vendée et poussent l'ennemi du coté de la mer. Haxo et Dutruy placés sur les côtes avec des forces suffisantes les poussent également. sur moi; de manière que si les ordres que j'ai donnés sont strictement exécutés, il me paraît impossible qu'ils ne soient pas entièrement cernés. Chaque chef de colonne a son instruction particulière; tous ont l'ordre d'incendier les villages, métairies, forets etc. mesure que j'ai cru indispensable et que vous-mêmes citoyens représentants vous avez indiquée dans votre Arrêté du mois d'août (vieux style). J'ai excepté cependant de l'incendie général quelques villes ou bourgs dont l'existence est absolument nécessaire pour y placer des garnisons Cette promenade militaire sera finie le (15 ou 16 pluviose) 3 ou 4 février après quoi j'aurai au moins douze mille hommes de bonnes troupes dont on pourra disposer pour une autre armée; le reste me suffira pour assurer la défense de la partie des côtes confiées à mon commandement et pour contenir le pays. Au surplus citoyens Représentants vous me croyez, j'ai lieu de le présumer, beaucoup plus de forces que je n'en ai. Vous ignorez peut-être que j'ai renvoyé à l'Armée des Côtes de Cherbourg dont je connaissais les besoins une division entière qui en avait été détachée; que j'ai donné à Rossignol trois brigades d'infanterie et un régiment de cavalerie; que j'ai été obligé de seconder par une partie des troupes à mes ordres l'expédition contre les chouans qui, comme vous le savez, a eu un plein succès et dont nous avions Rossignol et moi confié l'exécution au général Beaufort.

Je le répète citoyens Représentants je regarde comme indispensable la mesure de brûler villes, villages et métairies si l'on veut entièrement finir l'exécrable guerre de la Vendée; sans quoi je ne pourrais répondre d'anéantir cette horde de brigands qui semblent trouver chaque jour de nouvelles ressources. J'ai donc lieu d'espérer que vous l'approuverez. Je vous demande la grâce de me répondre par le même courrier. J'ai d'autant plus besoin de votre réponse que je me trouve dans ce moment-ci abandonné de vos collègues. Les Représentants du Peuple près cette armée malgré mes sollicitations ne sont point auprès de moi. Je vous envoie copie d'une lettre que je leur ai écrite pour les y inviter. Vous verrez qu'on m'abandonne à mes propres forces et cependant jamais général républicain n'eut plus besoin d'être étayé du pouvoir des Représentants du Peuple.

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