CONVENTION NATIONALE
Séance du 1er août 1793

BARERE, au nom du comité de Salut public, fait un rapport sur la situation de la République, et lit différentes pièces qui constatent la grande conjuration dont la France est enveloppée par les puissances étrangères, notamment par le gouvernement anglais; il s'exprime ainsi

Citoyens, les vrais représentants du peuple ont vu depuis longtemps avec un courage imperturbable se former la conjuration impie qui, d'une extrémité de l'Europe à l'autre, a menacé de renverser la liberté et les droits imprescriptibles de la nation française,

Les époques sont faciles à rappeler. Ce sont des pierres déposées par la liberté sur la route escarpée de la révolution; et cette route sur laquelle les voyageurs politiques ne rétrogradent jamais sans péril, doit être présente à vos yeux plus que jamais, dans les circonstances actuelles. .

Le 10 août 1792 le canon ouvrit la route.

Le 21 septembre, la Convention marqua sa naissance et sa destinée par la proclamation de la République.

Le 21 Janvier 1793, la République proclamée s'affermit par la mort du tyran.

Le 2 juin, l'horizon politique, surchargé des vapeurs du fédéralisme et de l'anarchie royale s'éclaircit; la foudre populaire frappa quelques têtes orgueilleuses et paralysa des mains intrigantes.

Le 23 juin, la République fut constituée, et les espérances du peuple s'attachèrent à l'arche sainte de l'alliance des départements et de la fraternité des Français, à la constitution.

Enfin, le 10 août qui s'avance: la statue de la liberté républicaine, dont la fusion a été si laborieuse, sera solennellement inaugurée sous les regards du législateur éternel, par les vœux unanimes des assemblées primaires d'un peuple que la guerre, que tous les fléaux, que toutes les trahisons même poussent impérieusement à l'indépendance

Encore dix jours, s'écrient les bons patriote, et la République sera votée par 27 millions d'hommes; encore dix jours, et d'une voix unanime, sortie de toutes les parties de la France, et qui se fait entendre même du fond de la Vendée et des départements égarés ou rebelles, comme du milieu des départements fidèles et républicains une voix unanime répond: liberté, égalité, voilà nos droits; unité, indivisibilité de la République, voilà nos maximes, une Constitution et des lois, voilà notre bonheur; la destruction de la Vendée, la punition des traîtres, l'extirpation du royalisme, voilà nos besoins; la réunion franche et prompte de toutes nos forces contre les ennemis communs, voilà nos saints devoirs et le seul gage de nos succès.

Ce cri de ralliement a été entendu dans les camps ennemis, au dedans et au dehors de la République; aussitôt tous leurs efforts ont été subitement tournés vers les moyens de retarder ou de flétrir cette époque si désirée et si nécessaire du 10 août prochain.

Votre comité de Salut public s'est placé en observation, en dirigeant tous ses regards vers ce port fortuné où la liberté nous attend pour célébrer ses triomphes

Qu'a vu votre comité dans l'intérieur de la République ?

Tous les vents semblent porter l'orage pour cette journée; tous les cœurs pervers ont ourdi des trahisons; tous les gouvernements ont soudoyé des crimes; les royalistes ont préparé autour de nous et dans le centre commun une famine artificielle; les capitalistes ont amené subitement le surhaussement du prix de tous les premiers besoins de la vie, les agioteurs ont dégradé les signes de la fortune publique; les villes maritimes et commerçantes ont tenté d'avilir la monnaie de la République; les administrateurs se sont érigés en agitateurs du peuple, quelques fonctionnaires publics, appelés à préparer des lois ont voulu figurer comme des arbitres de la paix et de la guerre, le fanatisme religieux multiplie ses imbéciles prédictions : une sainte ampoule est portée dans la croisade ridicule de la Vendée, pour oindre Louis le dix-septième; la manie nobiliaire a employé les métaux qu'elle entasse pour frapper une médaille qu'elle appelle, en idiome étranger, gallicoe nobilitatis signum...

Qu'a-t-il vu sur les frontières ou dans la Vendée ?

Dans les villes assiégées, des capitulations proposées par la lâcheté, des trahisons préparées par quelques chefs; une coupable inertie présentée par quelques autres; des désorganisateurs salariés au milieu des troupes les plus belliqueuses, des prédicateurs d'indiscipline et de pillage tolérés au milieu de bataillons républicains; des dilapidations scandaleuses ou des négligences coupables dans les diverses administrations des armées. Avec de pareils éléments, comment pourrait on compter sur des victoires ?

Sans doute la convention nationale travaille constamment à déjouer tant de manoeuvres; elle ne souffrira pas que, par des vues aussi horribles et des moyens aussi affreux, on l'écarte du vaste plan qu'elle a conçu: la République française et la paix de l'Europe. Vous nous avez associés plus particulièrement a vos travaux: le comité vient, au milieu des événements les plus sinistres et des complots les plus multipliés, vous déclarer que par des mesures qu'il vous présente, et par une exécution prompte confiée a toutes les autorités constituées, vos promesses faites au peuple français ne seront pas vaines, et que les difficultés, les pièges, les complots, les menaces, les terreurs ne retarderont pas sa marche et n'affaibliront pas un instant son courage.

Mais il faut prendre à la fois des mesures vastes, promptes, et surtout vigoureuses. Il faut que le même jour vous frappiez l'Angleterre, l'Autriche, la Vendée, le Temple et les Bourbons Il faut qu'au même instant les accapareurs, les royalistes et les agents des puissances coalisées soient accablés. Il faut que la terrible loi de représailles soit enfin exécutée sur les étrangers qui, abusant de l'hospitalité, la première vertu d'un peuple libre, viennent le corrompre, paralyser ses moyens ou tramer des perfidies au milieu de nous. Il faut que l'Autriche frémisse, que la royauté soit extirpée dans ses racines, que la Vendée soit comprimée par des moyens violents, et que nos frontières cessent d'être déshonorées par des hordes barbares.

Où est donc le danger si grand ? affecteront de dire les ennemis constants, ces modérés, spectateurs inutiles de la Révolution.

Citoyens, vous avez la confiance du peuple; vous devez avoir la conscience de vos forces: c'est un grand oeuvre que la fondation d'une République, et vos armes doivent être inaccessibles au découragement comme à la crainte

Eh bien ! apprenez que le danger est pressant, universel et incalculable. Mayence a capitulé, Valenciennes vient de subir la même honte (mouvements), et une conspiration horrible couvre le sol de la République et menace d'en attaquer, d'en dissoudre toutes les parties.

Où est le danger dira-t-on ? Le danger est pour les places frontières, où l'étranger gangrène les coeurs, où la perfidie a préparé ses armes où la lâcheté dicte des capitulations, où la bravoure de Lille n'est pas imitée, où la honte de Longwy n'est pas un effroi.

Le danger est pour nos ports, nos arsenaux, nos établissements publics, trop faiblement surveillés, trop facilement ouverts aux complots des malveillants et aux mèches incendiaires de nos ennemis éternels, les Anglais.

Le danger est pour nos armées, dont l'ennemi travaille a incendier les magasins, à ruiner les moyens de subsistance, à agiter, à indiscipliner les soldats, à faire dénoncer ou à acheter les chefs.

Le danger est pour les cités dégradées par la rébellion, et qui croient s'excuser par l'amour de l'ordre public, quand elles n'obéissent qu'à l'or de l'étranger et aux intrigues des aristocrates.

Le danger est pour ces départements égarés qui préfèrent sans cesse un homme, ou quelques hommes, à la patrie, et qui, plaçant une confiance insensée dans quelques administrateurs, s'exposent à se laisser gouverner par des hommes salariés par nos ennemis.

Le danger enfin est pour les habitants voisins de la Vendée, qui, pour avoir soutenu des prêtres, des nobles et des brigands, s'exposent à voir incendier leurs habitations, détruire leurs récoltes et exterminer une population si dangereuse à la liberté.

Le danger est plus terrible encore; il menace nos espérances, nos travaux, nos récoltes, notre fortune publique, nos propriétés nationales, par des incendies combinés; notre existence par des guerres civiles interminables; et notre indépendance par l'agglomération inopinée de tant de malheurs.

Citoyens, vous croyez peut-être que je viens exposer à vos regards un tableau fantastique, ou effrayer votre imagination pour exciter un intérêt passager et des mouvements populaires. Je viens au contraire ranimer votre courage, éveiller votre surveillance, centupler vos forces, et verser dans vos âmes cet encouragement énergique qui produit les vertus républicaines, et qui doit, en abattant nos ennemis, étonner et vaincre cette partie de l'Europe conspiratrice contre les droits de l'humanité.

Apprenez donc que le génie de la liberté, qui veille depuis quatre ans sur les destinées de la plus belle des Républiques, a fait découvrir un grand complot, dont nous sentions les effets depuis si longtemps, et sur les auteurs duquel nous n'avions que des pressentiments secrets; apprenez que, sur un des remparts de nos villes frontières, ont été trouvées des notes et une lettre écrites dans la langue des ennemis de la liberté et du commerce de toutes les nations. Ces pièces, déposées au comité de Salut public, ont excité d'abord cette défiance salutaire qui porte à rechercher les probabilités avant d'accorder quelque degré de crédibilité. Mais, en rapprochant les tristes leçons que l'expérience révolutionnaire nous a données, des faits et des indices que ces pièces renferment, nous avons cru qu'il était utile, d'un côté, de rechercher les auteurs et les agents de cette trame infernale; de l'autre, de vous donner connaissance des derniers efforts, ou plutôt des crimes ordinaires à ces politiques si fameux, à qui il ne manque que des peuples enchaîner, à séduire, à affamer.

Voici nos probabilités à Paris, qui sont des certitudes à Londres.

Ces papiers trouvés annoncent:

1° Que le gouvernement anglais a envoyé des émissaires, des espions, des agitateurs, dans tous nos départements, surtout dans nos places maritimes, dans nos villes frontières et à Paris

Nous l'avons surtout reconnu, lorsque nous avons fermé la mer et rompu nos communications avec ces dangereux insulaires: à cette époque et depuis il s'est présenté souvent au comité de Salut public et de Sûreté générale des Anglais qui cherchaient à repasser à Londres aux époques qui avaient préparé ou amené quelque crise au milieu de nous;

2° Ces papiers trouvés annoncent que le gouvernement anglais soudoie dans nos places frontières, près de nos armées, des agents de plusieurs sortes.

Et nous voyons des trahisons surgir de nos camps, de nos armées, de nos places fortes, et affliger les soldats, les véritables défenseurs de la république;

3° Les papiers trouvés énoncent des incendies et des projets de cette nature dans nos magasins, dans nos établissements.

Nous avons éprouvé des incendies à Douai à Valenciennes, à la voilerie du port de Lorient, au château neuf à Bayonne, dans le lieu où l'on faisait les cartouches, et dans le parc d'artillerie à Chemillé et près de Saumur;

4° Les papiers trouvés présentent les moyens faciles et inévitables d'incendier par des mèches phosphoriques.

Tels sont les moyens qu'on a employés pour faire l'explosion des caissons de notre artillerie; explosion qui, concertée avec les Anglais de la Vendée, leur donnait le signal de l'attaque, en même temps qu'elle répandait la terreur parmi les troupes de la république;

5° Les papiers trouvés sont imprégnés de projets d'assassinats par les mains des femmes et des prêtres réfractaires.

Et nous avons eu. jusqu'à présent, trois représentants du peuple, trois patriotes républicains, frappés du fer des assassins : l'un des deux qui ont péri pour la liberté a été immolé par la main d'une femme; le fer plus prudent des prêtres n'est encore qu'aiguisé mais voilà déjà l'exécution du complot présenté par les lettres;

6° Les papiers trouvés énumèrent diverses sommes envoyées à Lille, à Nantes, à Dunkerque à Ostende, à Rouen, à Arras, à Saint Omer, à Boulogne, à Thouars, à Tours, et enfin à Caen, et dans plusieurs autres villes et c'est dans ces villes que se sont élevés les premiers orages contre-révolutionnaires; c'est dans ces villes soudoyées que se sont réfugiés les députés fédéralistes et conspirateurs: c'est d'une de ces villes, c'est de Caen qu'est parti l'assassin d'un représentant du peuple; c'est dans ces villes que l'on a corrompu des administrateurs, préparé des forces départementales, égaré le peuple, incarcéré des représentants fidèles de la nation, et machiné des troubles;

7° La lettre anglaise demande au conspirateur à qui elle est adressée, de faire hausser le change, de discréditer les assignats, et de refuser tous ceux qui ne portent pas l'effigie du ci-devant roi.

A-t-on jamais vu, dans les plus fortes crises de la révolution, la monnaie nationale aussi avilie, aussi discréditée ? A-t-on jamais vu l'agiotage saisir, avec autant d'impudeur que d'impunité, la différence matérielle qui se trouve entre l'assignat monarchique et le républicain N'avez vous pas été obligés de prendre hier un parti rigoureux contre ceux qui accaparent les assignats à face royale, pour avilir ceux qui sont à la marque républicaine ?

8° "Faites hausser le prix des denrées, dit le conspirateur anglais; achetez le suif et la chandelle à tout prix, et faites-les payer au public jusqu'à 5 livres la livre."

N'avez-vous pas entendu les justes plaintes du peuple, dont les premiers besoins ont été surhaussés subitement a un prix énorme ? N'avez-vous pas été forcés à frapper les accapareurs par une législation terrible ? N'avez-vous pas aperçu les manoeuvres par lesquelles ces accapareurs éhontés cherchaient à exciter les plaintes du peuple et à les diriger contre la Convention nationale, à raison du prix des marchandises de première nécessité ?

Est-ce donc de ses représentants que le peuple est fondé à se plaindre ? Est-ce à la convention qu'il peut imputer cette partie des maux qui pèsent sur la tête des citoyens peu fortunés ? Déversons ces plaintes, renvoyons ces maux à leurs véritables auteurs, à ce gouvernement britannique, qu'il faut compter au nombre des plus grands ennemis des sociétés humaines.

Voilà nos présomptions de vérité en faveur des pièces déposées dans nos mains.

Qu'avons-nous dû croire lorsque nous avons vu ces pièces, ces assertions, devenir concordantes avec les nouvelles reçues il y a trois jours des représentants du peuple près l'armée des Alpes.

Dubois-Crancé nous écrit: "J'ai la preuve d'un fait bien étonnant, c'est que les habitants de Lyon ont reçu de Pitt, par Genève, 4 millions en numéraire".

"Que les citoyens de Lyon (disent les représentants du peuple dans un arrêté imprimé le 25 juillet et envoyé à Lyon) avouent un fait connu, c'est qu'ils ont reçu il y a quinze jours, de Pitt, par la voie de Genève, 4 millions en or, pour servir leur infâme révolte."

Voilà donc la guerre civile préparée par les Anglais, alimentée par les Anglais, soudoyée par les Anglais; voilà donc le noble usage et le généreux emploi de ces millions sterling, que le ministre des préparatifs vient d'obtenir du Parlement pour des dépenses secrètes, dont le vertueux Pitt ne pouvait indiquer la destination... Et si de Genève et de Lyon nous nous transportons plus loin, si de ce théâtre de révolte et de guerre civile nous passons sur les bords de la Méditerranée, Toulon et Marseille auront ils fermé religieusement leur port aux métaux de l'Angleterre et leurs oreilles aux calomnies préparées contre la Convention nationale ? des intrigants, des faux patriotes, des agitateurs salariés, des étrangers, n'auront ils pas corrompu l'esprit public de ces deux villes si célèbres par leur amour ardent pour la liberté ? n'auront-ils pas acheté ces crimes qu'ils ont voulu couvrir du manteau du patriotisme, tandis qu'ils assassinaient la République avec des poignards aiguisés à Londres ? Hommes du Midi, vous que la nature jeta dans le moule brûlant des républicains, serez-vous donc toujours les victimes des intrigants qui parlent à votre imagination pour altérer vos principes ? ouvrez donc les yeux, et voyez dans le gouvernement anglais et dans les étrangers soudoyés par lui au milieu de vous, voyez ceux qui viennent s'emparer de la Méditerranée, ruiner votre commerce, fédéraliser vos départements, déshonorer vos cités. C'est ce gouvernement qui a excité des troubles et acheté des crimes au milieu de vous, et qui envoie ensuite des escadres devant vos ports, pour savoir si vous êtes encore républicains ou si vous avez cessé d'être Français. Pendant que les troubles agitent Toulon et Marseille, 24 vaisseaux anglais envoient un vaisseau parlementaire. sous prétexte d'échanger des prisonniers, et, dans le fait, pour connaître l'état des esprit et le moment du succès contre révolutionnaire.

Voici les pièces dont je dois vous donner connaissance.

..... (Il donne lecture de différents documents) ....

Envisageons nos malheurs avec sang-froid et défendons-nous avec courage.

Au dehors, Mayence, Condé et Valenciennes sont livrés à nos insolents ennemis.

Au dedans, la Vendée, le royalisme, les Capets et les étrangers leur préparent de nouveaux triomphes.

Au dehors, il faut de nouvelles dispositions relativement aux armées de la Moselle et du Rhin; elles sont délibérées par le comité dans un arrêté secret pris hier au soir.

Quant à la suite des événements de Valenciennes, les mesures qui doivent être connues de l'Assemblée se réduisent à former un camp intermédiaire; des troupes réglées considérables et des forces de réquisition vont former des camps entre Paris et l'armée du Nord. Il faut couvrir une cité qui a tant fait pour la liberté dont elle est le théâtre, il faut défendre une cité qui est l'objet des calomnies des fédéralistes, de la haine des aristocrates et de la colère des tyrans, il faut protéger le centre des communications, la résidence de la première des autorités publiques, le foyer de la révolution, le réservoir de la fortune publique et le lieu de tous les établissements nationaux.

Il faut enfin y contenir les malveillants, y comprimer les aristocrates, y rechercher les traîtres et empêcher, par l'énergie républicaine, le royalisme d'entretenir ses intelligences avec les corrupteurs de Condé et de Valenciennes, dont ils ne furent jamais les vainqueurs.

Apres avoir pourvu à l'établissement de ce camp intermédiaire, nous nous sommes occupés de l'armée du Nord.

Kilmaine a été nommé pour la commander en chef. Kilmaine a des motifs qui le portent à ne pas accepter cet honneur.

Le comité, de concert avec le Conseil exécutif, a pensé que Houchard, connu par son patriotisme et son dévouement à la République, était propre à commander l'armée du Nord. Il est républicain. Il a la confiance du soldat. Cambrai est le poste le plus périlleux. Le camp de Paillencourt l'attend; et l'armée de la Moselle, dont la prise de Mayence a changé les opérations, fera le sacrifice de son attachement pour ce chef estimable à la cause de la République.

Le général de brigade Ferrière prendra la place de Houchard, à la tête de l'armée de la Moselle. Ces deux nominations doivent être approuvées par vous.

Une autre mesure relative à Valenciennes a été décrétée hier : c'est l'envoi de quatre nouveaux commissaires à Cambrai. S'il fut jamais une circonstance dans laquelle il fallut des commissaires actifs qui marchent de confiance et d'ensemble, et qui connaissent à l'instant tous les objets de leur mission, c'est bien au moment où il faut un grand mouvement dans les armées et dans les départements qui les environnent; c'est au moment où il faut réchauffer toutes les âmes pour la cause de la République, et rallier tous les courages à la défense de notre territoire.

Par un premier mouvement le comité de salut public se serait transporté tout entier au camp de Paillencourt. C'est là qu'est dans ce moment le lieu de ses sollicitudes, si ce n'est pas celui de ses alarmes. Il a délibéré d'envoyer à Cambrai, à la Moselle et au Rhin, avec votre approbation, les citoyens Saint-André, Prieur et Saint-Just. Ces commissaires, pleins de zèle et brûlants de patriotisme, ont vu dans la correspondance de l'armée ses besoins; ils verront, dans leur sollicitude pour la République, tout ce que sa défense commande à ses zélateurs et aux représentants du peuple. Leur mission est de courte durée, mais elle est nécessaire, et les autres membres du comité voient avec joie s'augmenter un instant leurs travaux pour une aussi belle cause. Un camp intermédiaire, des commissaires actifs, des secours immenses à Cambrai, un mouvement dans les armées, voilà les mesures urgentes.

Après avoir disposé la défense extérieure, rentrons dans ces malheureux départements dont la gangrène politique menace de dévorer et d'anéantir la liberté. Nous aurons la paix le jour que l'intérieur sera paisible, que les rebelles seront soumis, que les brigands seront exterminés. Les conquêtes ou les perfidies des puissances étrangères seront nulles le jour que le département de la Vendée aura perdu son infâme dénomination et sa population parricide et coupable. Plus de Vendée, plus de royauté; plus de Vendée, plus d'aristocratie; plus de Vendée, et les ennemis de la République ont disparu.

Les événements de Mayence nous renvoient des garnisons longtemps exercées dans l'art des combats; c'est une réserve de troupes exercées que les tyrans ne croyaient pas disposer pour la Vendée. Eh bien ! c'est nous qui en disposerons sur-le-champ. Les ordres sont déjà donnés, en pressentant vos intentions d'après nos besoins : mais pour les accélérer, il faut un acte de votre volonté; pour les exécuter il faut 3 millions. Que sont les dépenses faites pour la liberté ? Ce sont des trésors placés à une usure énorme. La liberté rendit toujours plus qu'on ne lui donna; c'est un débiteur prodigue pour les créanciers audacieux, énergiques, qui lui confient leurs capitaux et leurs espérances.

Ordonnez que ces garnisons se rendront en poste dans les forêts de la Vendée, l'honneur français les appelle; le salut de la République leur commande; et le retour de Mayence ne sera pas sans gloire, alors que la Vendée aura été détruite.

Mais quelles mesures exécutera cette nouvelle armée, jointe à celle dont les revers accusent l'indiscipline ou la mollesse ? quelle sera sa destination ? Ira-t-elle faire une lente guerre de tactique, ou une invasion hardie ? Ah ! c'est moins du talent militaire que de l'audace révolutionnaire que ce genre de guerre exige des défenseurs de la patrie. La victoire est ici pour le plus courageux, et non pour le plus savant; elle est pour le républicain plus que pour le tacticien. Que les soldats de la République pensent qu'ils attaquent de lâches brigands et des fanatiques imbéciles; qu'ils pensent à la République, et la victoire est à eux.

Ici, le comité, d'après votre autorisation, a préparé des mesures qui tendent à exterminer cette race rebelle, à faire disparaître leurs repaires, a incendier leurs forêts, couper leurs récoltes, et à les combattre autant par des ouvriers et des pionniers que par des soldats. C'est dans les plaies gangreneuses que la médecine porte le fer et le feu. C'est à Mortagne, à Cholet, à Chemillé, que la médecine politique doit employer les mêmes moyens et les même remèdes.

L'humanité ne se plaindra point; les vieillards, les femmes, les enfants seront traités avec les égards exigés par la nature et la société.

L'humanité ne se plaindra pas; c'est faire son bien que d'extirper le mal; c'est être bienfaisant pour la patrie que de punir les rebelles. Qui pourrait demander grâce pour des parricides ?

Louvois fut accusé par l'histoire d'avoir incendié le Palatinat, et Louvois devait être accusé; il travaillait pour le despotisme, il saccageait pour des tyrans.

Le Palatinat de la République, c'est la Vendée; et la liberté, qui cette fois dirigera le burin de l'histoire, louera votre courageuse résolution, parce que vous aurez sévi pour assurer les droits de l'homme, et que vous aurez travaillé à extirper les deux plus grandes maladies des nations, le fanatisme religieux et la superstition royale.

Nous vous proposons de décréter les mesures que le comité a prises contre les rebelles de la Vendée; et c'est ainsi que l'autorité nationale, sanctionnant de violentes mesures militaires, portera l'effroi dans ces repaires de brigands et dans les demeures des royalistes.

Mais ce n'est pas assez de s'occuper des sujets, il faut s'occuper de leurs chefs. Les espérances de la Vendée reposent au Temple; leurs auxiliaires sont les étrangers réunis à Paris et dans les autres villes, et qui sont salariés par les puissances coalisées.

Pour le prouver, il suffira de publier et d'envoyer à tous les départements les notes et la lettre, en idiome anglais, trouvées dans le portefeuille déposé au comité de Salut public. Ce sont les premières pièces de la conjuration des gouvernements royalistes.

C'est à vous de dénoncer ensuite aux divers peuples, et même au peuple anglais, les manoeuvres lâches, perfides et atroces de son gouvernement. C'est à vous de dénoncer au monde cette nouvelle tactique de forfaits et de crimes ajoutée par Pitt au fléau de la guerre, cette corruption infâme introduite par ce ministre jusque dans le sanctuaire des lois, dans les camps, dans les cités, et dans les communications franches du commerce et de l'hospitalité.

Que Pitt et ses complices méprisent, s'ils le peuvent, cet arrêt de l'opinion de leur siècle : il est un tribunal incorruptible et sévère auquel il n'échappera pas, même de son vivant, si c'est vivre que de corrompre; il est un tribunal inexorable placé au-dessus des rois et des ministres, qui les flétrit ou les absout.

Que le peuple anglais ouvre enfin les yeux sur les étranges et atroces maximes de son gouvernement, et qu'il tremble : et si, dans ce moment de révolution et du délire des rois, des peuples aveuglés ou asservis n'entendent pas notre juste et inévitable dénonciation, un jour les peuples de l'Europe, effrayés de la tyrannie commerciale, du despotisme politique et de la corruption extrême du gouvernement anglais; un jour les peuples coalisés par le besoin général de la liberté, comme les rois le sont par leurs crimes commis envers l'humanité; les peuples du continent, fatigués de cette oppression insulaire et de cette tyrannie navale, réaliseront le voeu de Caton : la Carthage moderne sera détruite. Que fera-t-elle, alors que toutes les nations européennes, éclairées enfin sur cet accaparement de richesses, sur ce privilège exclusif de commerce, sur ce monopole d'une apparente liberté politique qui fuit depuis si longtemps l'Angleterre, s'écrieront : Brisons le sceptre de cette reine des mers ! qu'elles soient libres enfin, comme les terres !

En attendant que ce voeu des hommes libres se réalise, chassons les Anglais de notre territoire. Depuis l'origine de la Révolution nous n'avons cessé de les accueillir avec confiance; plusieurs d'entre eux en ont atrocement abusé. Chassons-les aujourd'hui, mais arrêtons les suspects et punissons les coupables : les étrangers violant les droits de l'hospitalité sont entrés dans le terrible domaine de la loi révolutionnaire.

La représaille fut toujours un droit de la guerre : les Anglais ont chassé les Français de leur île, et n'ont donné asile et protection qu'aux émigrés et aux rebelles; ce sont les Anglais qui viennent de former deux régiments de gardes nationales avec des émigrés, comme pour profaner et avilir le costume de notre liberté, ou pour tenter, en les envoyant dans les armées combinées de tromper nos troupes par la ressemblance du costume militaire et du langage. Votre comité sait qu'on a préparé une loi sur es étrangers : mais peut-être ne s'est-on pas assez occupé de distinguer les Anglais de tous les autres : les notes trouvées dans le portefeuille vous commandent plus de précaution et de sévérité contre ces émissaires corrupteurs d'un ministre corrompu.

Les voilà donc, ces défenseurs si ardents de la liberté, qui viennent au milieu de nous pour violer les droits de l'hospitalité nationale, restaurer le royalisme et ramasser les débris du trône ! Ici une vérité doit être publiée et doit retentir à l'oreille de tous les hommes qui sont attachés au sol qui les a vus naître et qui les nourrit; je ne leur demande même d'autre patriotisme que celui des sauvages qui affrontent la mort pour conserver des terres incultes.

On cherche à détruire la République, en assassinant, en décourageant, en diffamant, en calomniant les patriotes républicains; ce sont ces hommes courageux qu'on veut abattre, comme si les principes républicains n'avaient pas déjà germé dans le coeur de tous les hommes honnêtes, et qui ne sont pas insensibles au courage et à la vertu; car la liberté ne peut convenir aux âmes lâches et corrompues.

Français, prenez garde; vos législateurs font de grands efforts; leur courage a besoin de renaître tous les jours pour achever l'édifice de la République; et dans dix jours il est consolidé, il est l'ouvrage de la nation; il a une existence politique, une durée certaine, et la voix tonnante du peuple renversera tous les ennemis de cette constitution. Nous sommes donc au moment de voir l'ordre renaître; le règne des lois va commencer; la politique jouira de la stabilité nécessaire, vous pourrez enfin respirer.

Si au contraire on pouvait parvenir à détruire les fondations de la République, ou à décourager les républicains, que vous resterait-il ? Trois ou quatre factions royales divisant les citoyens, déchirant les familles, dévorant les départements, fédéralisant les divisions territoriales, et les puissances étrangères triomphantes au milieu de tant de crimes et de factions diverses, pour vous déshonorer, vous égorger ou vous asservir comme les Polonais, dignes d'un meilleur sort.

L'une de ces factions, avec l'Espagne et quelques nobles, voudra de la régence d'un frère de notre ancien tyran.

Une autre, avec de misérables intrigues, excitera l'ambition d'une autre branche de Capet.

Une troisième reportera, avec l'Autrichienne ses espérances vers un enfant.

Une dernière, atroce, avare, corruptrice, et aussi politique qu'immorale, se liguera dans le Nord pour rappeler à la France qu'un Anglais déshonora jadis le sol français en usurpant son trône.

C'est ainsi qu'en s'éloignant de la République ce qui restera de bien lâche, de bien vil, de bien égoïste parmi les Français, ne se battra plus que pour le choix d'un maître, d'un tyran, et demandera à genoux aux puissances étrangères de quelle famille, ou plutôt de quel métal elles veulent leur faire un roi.

Loin de nous, citoyens, un aussi profond avilissement ! dans dix jours la République est établie par le peuple, et tous les Tarquins doivent disparaître.

Nous vous proposons de déporter loin des terres de la République tous les Capets, en exceptant ceux que le glaive de la loi peut atteindre et les deux rejetons de Louis le conspirateur : ce sont là des otages pour la République.

Ici s'applique la loi de l'égalité. Ce n'est pas à des républicains à maintenir ou à tolérer les différences que la superstition du trône avait établies. Les deux enfants seront réduits à ce qui est nécessaire pour leur nourriture et l'entretien de deux individus. Le Trésor public ne se dissipera plus pour des êtres qu'on crut trop longtemps privilégiés.

Mais derrière eux se cache une femme qui a été la cause de tous les maux de la France et dont la participation à tous les projets conspirateurs et contre-révolutionnaires est connue depuis longtemps. C'est elle qui a aggravé par ses déprédations le dévorant traité de 1756; c'est elle qui a pompé la substance du peuple dans le Trésor public, ouvert à l'Autriche; c'est elle qui, depuis le 4 mai 1789 jusqu'au 10 août 1792, ne respira que pour l'anéantissement des droits de la nation, c'est elle qui prépara la fuite de Varennes, et qui alimenta les Cours de toute sa haine contre la France. C'est à l'accusateur public à rechercher toutes les preuves de ses crimes. La justice nationale réclame ses droits sur elle et c'est au tribunal des conspirateurs qu'elle doit être renvoyée. Ce n'est qu'en extirpant toutes les racines de la royauté que nous verrons la liberté prospérer sur le sol de la République. Ce n'est qu'en frappant l'Autrichienne que vous ferez sentir à François, à George, à Charles et à Guillaume, les crimes de leurs ministres et de leurs armées.

Une dernière mesure qui tient à la Révolution tend à augmenter le patrimoine public des biens de ceux que vous avez mis hors de la loi. En les déclarant traîtres à la patrie, vous avez rendu un jugement; la confiscation est une suite de ce jugement, et le comité a pensé que vous deviez la prononcer. Le temps des révolutions est celui de la justice sévère : le fondement des républiques commence par la vertu inflexible de Brutus.

Enfin il a pensé que, pour célébrer la journée du 10 août qui a abattu le trône, il fallait, dans le jour anniversaire, détruire les mausolées fastueux qui sont à Saint-Denis. Dans la monarchie, les tombeaux mêmes avaient appris à flatter les rois. L'orgueil et le faste royal ne pouvaient s'adoucir sur ce théâtre de la mort; et les porte-sceptres qui ont fait tant de maux à la France et à l'humanité, semblent encore, dans la tombe, s'enorgueillir d'une grandeur évanouie. La main puissante de la République doit effacer impitoyablement ces épitaphes superbes, et démolir ces mausolées sans douleur, qui rappelleraient encore des rois l'effrayant souvenir.

Citoyens, voila les mesures que les circonstances commandent. Le zèle des républicains le courage des armées, le patriotisme des départements fidèles a la voix de la patrie, entendront le tocsin que la liberté va sonner le 10 août à Cambrai, à Landau, à Perpignan, à Bayonne et dans la Vendée. Ah ! comme la République serait sauvée, si tous les Français savaient combien est délicieux le nom de patrie

BARERE, rapporteur, présente ensuite quatre projets de décret conformes aux conclusions de son rapport

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